Une récente enquête IFOP-freelance.com révèle que 68% des cadres aspirent à changer de poste, de métier, d’entreprise ou à déménager, dans les deux ans à venir. Entre quête de sens et quête de liberté, attirer les talents rares ou demandés est difficile. Les retenir est un vrai défi. Emmanuelle Charrier, Directrice Conseil Transformation et Talent au sein du cabinet Talent Solutions Right Management, ouvre la réflexion pour mener à bien cette « guerre des talents ».
À la sortie du premier confinement, 91% des salariés souhaitaient “simplement” conserver leur emploi. Aujourd’hui, exode urbain, fuite des talents rares et peur de l’avenir dessinent le quotidien de certaines entreprises, les mettant en difficulté pour recruter ou à minima retenir les profils les plus recherchés. La priorité est donc de fidéliser les talents déjà présents au sein de l’entreprise. Comme 40% des salariés interrogés dans cette même étude IFOP, nombreux sont ceux qui ont eu envie de démissionner ces derniers mois et ce, malgré ou en réponse à la crise. Cela s’explique par plusieurs facteurs, dont les principaux sont la quête de sens, la perte de lien social en entreprise – 48 % des salariés en chômage partiel dénoncent un affaiblissement du lien avec leur employeur depuis le début de la pandémie – et enfin, les nouveaux modes de vie. En effet, selon l’OCDE, les moins de 30 ans passeront par treize postes différents en moyenne au fil de leur existence. Ne souhaitant plus toujours vivre au rythme des 35 heures ou liés à un CDI, ils représentent une force de travail moins disponible pour des postes déjà en manque de main d’œuvre.
Des facteurs qu’il est important de comprendre car c’est en répondant aux aspirations de chacun que l’on pourra agir, plutôt que réagir.
Pour retenir les talents, il faut les comprendre et répondre à ce qui stimule leur engagement au sein de l’entreprise. « Il n’y a pas de combinaison magique. Cela dépend des personnalités de chacun, des moments de vie, de l’âge... Au-delà du salaire et des avantages, il faut savoir répondre à des désirs d’engagements sociétaux, développer une culture d’entreprise forte et offrir une ambiance ou des espaces de travail agréables… Les opportunités de carrière et la trajectoire professionnelle que l’on dessine avec eux sont également essentielles » explique Emmanuelle Charrier.
Portée par des plans gouvernementaux tels que FNE-Formation ou plus récemment le dispositif TransCo, la formation est devenue un point clé des stratégies RH avec la crise. Mais face à la multiplication de l’offre de formations, les salariés peuvent être perdus. L’accompagnement est donc essentiel. Les parcours de carrière ont aujourd’hui une limite si l’on s’en tient à la cartographie des métiers. Il faut pouvoir jeter des ponts au sein de l’entreprise pour exploiter le potentiel de chaque salarié. « Laisser un salarié dans sa zone de confort est une grande erreur. Valoriser la culture de l’apprenance est l’une des postures clés que les DRH et managers doivent adopter. Leur rôle est de favoriser le développement de la curiosité, la remise en question, la culture du risque et du droit à l’erreur » développe Emmanuelle Charrier.
Stimuler le salarié, le challenger au quotidien par l’accès à l’apprentissage continu est donc l’un des facteurs principaux de rétention. Cependant, il y a également des réponses plus structurelles à apporter.
Reprenons les trois facteurs principaux qui poussent les salariés à se projeter vers d’autres horizons : la quête de sens, le besoin de flexibilité et les nouvelles envies de vie. Une politique RSE transparente, la systématisation du Flex office, la mobilité géographique sont autant de réponses qu’il n’est possible de mettre en place qu’en repensant les organisations et contrats de travail.
On retient, par exemple, l’initiative de la start-up associative Vendredi qui permet de dédier une journée ouvrée par semaine au service du bien commun. C’est donner la possibilité aux salariés de mettre ses compétences et son expertise au service d’un projet d’intérêt général, à sa demande mais encouragé et autorisé par l’entreprise. Carrefour, Groupe ADP, Décathlon et bien d’autres ont déjà adhéré répondant ainsi leur engagements RSE tout en favorisant l’engagement collaborateurs.
Et Emmanuelle Charrier pousse la réflexion plus loin : « La crise a accéléré le développement du freelancing, mais aussi des embauches “boomerang”. La rétention des talents doit-elle toujours être l’objectif RH premier des entreprises ? Plutôt que de penser seulement rétention, pensons plus largement fidélisation. S’émanciper de la seule logique de CDI permet une gestion du capital humain plus flexible et peut répondre aux nouvelles attentes des salariés. ». D’autres formes de contrats offrent en effet la possibilité de s’appuyer sur des renforts qualifiés ponctuels ou réguliers, de miser sur le bon mix de profils au regard des projets, de laisser libre cours aux équipes internes de se former dans d’autres domaines… Mettre en place des logiques gagnant-gagnant permettra, à coup sûr, de renforcer le sentiment positif à l’égard de l’entreprise. Viviers des talents, alumni, prestataires et CDD deviendront alors des membres flexibles de l’entreprise et sa communauté élargie, libres de travailler au gré de leurs envies et répondant à des besoins ponctuels, réguliers ou permanents.
En résumé, retenir les talents ne devrait pas être une finalité en soi. Le turn-over fait partie du cycle naturel de la vie d’une entreprise. Chacune doit l’accepter et l’enjeu est en réalité de développer une stratégie RH prospective et une marque employeur attractive : Avoir un vivier dynamique de talents à disposition en cas de rotation anticipée permettra un passage de relais sans perte de connaissance. Déployer des processus et des outils de knowledge management est essentiel à cet égard.
Directrice Conseil Transformation et Talent | Talent Solutions Right Management France