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La question de l'emploi des seniors est "l'éléphant dans la pièce" des politiques de l'emploi en France. Dans un contexte de tension de recrutement voire de pénurie de compétences dans certains secteurs, il semble irrationnel de laisser la population des seniors sur le bord du chemin de l'emploi. Et pourtant ! les chiffres sont édifiants.
Depuis les années 1990, le taux d’activité de la population en âge de travailler (15-64 ans) n’a cessé d’augmenter.
Cependant, la Dares, dans son enquête publiée en septembre 2023, met l’accent sur la nette diminution du taux d’emploi avec l’âge et notamment pour les plus de 60 ans. Seulement un tiers des 60-64 ans (36,2%) et la moitié (56,9%) des 55-64 ans travaillaient en France en 2022, contre 46,9% et 62,4% à l’échelle de l’Europe. Une réalité qui perdure malgré les engagements successifs des différents gouvernements et qui place l’Hexagone dans le bas du classement des pays de l’UE (17ème place sur les 27 pays de l’UE en matière d’insertion professionnelle des seniors).
Parallèlement à cette réalité, l’Insee indique qu’en 2025, la population active atteindra son pic de vieillissement et avec lui émerge le spectre d’une pénurie sur le marché du travail. L’allongement progressif de la durée de vie ne fait qu’intensifier cette tendance.
Les politiques publiques en matière d’emploi des seniors ont évolué au cours des années 2000. Nous sommes passés d’une gestion par l’âge, qui contribuait à les faire sortir du marché du travail (notamment via le dispositif des préretraites et une durée d’indemnisation chômage plus “avantageuse”) à une gestion des âges, consistant à revaloriser les compétences à l’interne et le maintien de l’emploi des seniors. L’objectif étant de combler le retard en matière de taux d’emploi et d’âge de départ à la retraite, d’encourager un dialogue social de qualité et une évolution des mentalités.
Les réformes des retraites se sont multipliées depuis 20 ans. Certaines ont touché à l’âge légal, d’autres à la durée de cotisation. La hausse du taux d’emploi des seniors est assez concomitante avec l’entrée en vigueur des différentes réformes. Repousser l’âge de départ et/ou augmenter la durée de cotisation a surtout un effet pour les personnes en emploi stable, qualifiées et plutôt masculines. Pas pour celles qui sont éloignées du marché du travail.
Les stéréotypes concernant les seniors sont encore nombreux, et constituent parfois un frein à l’embauche pour les recruteurs. Les seniors sont souvent considérés comme trop chers, peu flexibles, de santé fragile ou résistants au changement. De plus, on note que selon leur sexe et leur niveau de diplôme initial, les seniors ne sont pas tous égaux face au maintien dans l’emploi.
Selon les seniors eux-mêmes, le coût élevé de leur recrutement serait le principal obstacle rencontré lors d’une recherche d’emploi. Les entreprises hésiteraient à effectuer cet investissement, craignant qu’il ne soit pas assez rentable sur le long terme. De fait, lors d’un recrutement, les seniors peuvent se retrouver face à des candidats plus jeunes et moins chers qu’eux.
La notion de perte d’employabilité, qu’elle soit réelle ou perçue, est associée à l’accélération de l’obsolescence des compétences face à l’évolution des tâches. Ceci s’illustre par le fait qu’à partir de 50 ans, on ne se forme quasiment plus. Les données provenant des statistiques publiques révèlent en effet que la participation à la formation diminue progressivement avec l'âge et chute significativement après 55 ans. Ce phénomène est alimenté par plusieurs facteurs, notamment le désintérêt des employeurs à investir dans la formation des travailleurs en fin de carrière, l'absence d'adaptation des programmes de formation continue aux besoins spécifiques des seniors, et une perception croissante chez les salariés selon laquelle la formation devient moins pertinente au fil du temps. De fait, seulement 9% des actifs de plus de 40 ans considèrent la formation continue comme une solution pour faciliter la transition vers la fin de leur vie professionnelle.
La réforme de la retraite, en vigueur depuis septembre 2023, repousse l’âge de départ à la retraite à 64 ans, pour aboutir à un départ à 65 ans en 2031. Ce qui peut permettre d’améliorer le taux d’emploi des seniors, mais sans résoudre véritablement les préjugés en entreprise, les discriminations au recrutement ou faire baisser le chômage des plus de 55 ans (selon un rapport de l’Unedic datant de mars 2023, la durée moyenne d’inscription des seniors à France Travail est près de deux fois plus longue que pour la totalité des demandeurs d’emploi).
Or, dans un contexte où le marché du travail est tendu, avec des recrutements de plus en plus compliqués, les plus de 55 ans peuvent représenter un véritable atout, pour la sécurisation des équipes comme pour la transmission des savoir-faire au sein des entreprises.
Le constat est donc clairement énoncé : il devient impératif d’augmenter le taux d’emploi des 60-64 ans si nous voulons éviter que le recul de l’âge légal ne se traduise par une précarité accrue de celles et ceux qui ne pourront pas continuer à travailler ou dont les entreprises ne voudront toujours pas ou ne voudront plus.
C’est à ce titre qu’à l’automne dernier, la négociation entre partenaires sociaux s’est ouverte sur le maintien dans l’emploi des seniors et sur « un nouveau pacte de la vie au travail ». Le gouvernement les a conviés à apporter des solutions selon un document d’orientation servant de base aux discussions. L’objectif affiché étant d’augmenter le taux d’emploi des 60-64 ans afin qu’il atteigne 65% en 2030, contre 36,2% en 2022.
Parmi les pistes explorées, on note :
Selon le Baromètre 2023 « Emplois des seniors » publié par Malakoff Humanis, les actions pour favoriser l’emploi et l’épanouissement professionnel des seniors, considérées comme prioritaires par les chefs d’entreprises et les salariés concernent surtout la transmission de compétences, l’aménagement de poste, la volonté d’agir de manière préventive sur la qualité de vie au travail pour permettre à chacun de choisir réellement le moment de son départ.
Ces différentes pistes et actions, nécessitent un véritable accompagnement des entreprises et des chefs d’entreprise pour faciliter l’insertion professionnelle des seniors en France et les convaincre de cesser de considérer que les personnes expérimentées ne leur sont plus utiles.
En parallèle, il apparaît indispensable de renforcer l’accompagnement personnalisé des seniors dans leur maintien dans l’emploi ou leur insertion professionnelle par une simple remobilisation, un travail sur la confiance en soi pour certains, et pour d’autres, un travail sur les outils de base, les fondamentaux. Les aider à mieux appréhender les opportunités que la transformation numérique induit, par exemple. Leur redonner confiance en leur apportant des informations et des astuces sur de nouvelles façons de communiquer, de se présenter, en valorisant leur profil et leur expérience. Offrir le temps et l’écoute nécessaires pour favoriser des évolutions ou mobilités professionnelles ou une possible reconversion.
Ainsi, sous l’impulsion de sa réforme du travail, de l’assurance - chômage et des retraites, le gouvernement d’Emmanuel Macron semble vouloir s’attaquer à ce chantier du vieillissement de la population et l’accompagnement des salariés vers une fin de carrière sereine. L’objectif d’atteindre le plein-emploi des seniors et de passer à un taux d’emploi de 65% pour les 60-64 ans à l‘horizon 2030, pour « équilibrer les comptes » est-il cependant trop ambitieux ?
Les négociations entre partenaires sociaux sont toujours en cours et doivent aboutir le 8 avril 2024 après un premier report. Elles sont ardues et il reste encore beaucoup à écrire pour parvenir à ce “nouveau pacte de la vie au travail ». L’ancien ministre du Travail, Olivier Dussopt avait cité la Suède comme exemple. Mais avec un taux de 77,3% chez les 55-64 ans pour le pays scandinave, le chemin à parcourir paraît encore long.
Une affaire à suivre…